
Laurent Hernu, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous êtes athlète de haut niveau, vous avez été champion de France, classé cinquième aux Championnats du monde de Paris, vous avez participé aux jeux olympiques d’Athènes, été élu Entraîneur de l’année en 2014 par la Fédération Française d’Athlétisme. Vous pratiquez le Décathlon, une épreuve composée de dix disciplines différents, alors compte tenu de votre parcours, nous vous avons préparé une interview olympique, prêt ?
Commençons au début de l’histoire : lorsque vous étiez petit, aviez-vous peur de tomber ou de ne pas gagner ou étiez-vous déjà sur votre voie, à vous lancer dans tous les sports à la recherche de la meilleure performance ?
Je suis arrivé tardivement à l’athlétisme. Avant, j’ai touché au karaté, au foot, au volley ball, au hand, au basket… Tout ça, dans le cadre de ma scolarité. Mais mon père pratiquait l’athlétisme, donc j’étais sur les stades avec lui. À onze ans, j’ai fait une mauvaise chute en jouant au foot et je me suis blessé au coude. C’est là que j’ai commencé l’athlétisme, avec un ou deux entraînements par semaine. Je lançais le javelot avec mon père.
À quinze ou seize ans, l’entraîneur Gilles Follereau est arrivé au Club. C’est lui qui m’a réellement mis le pied à l’étrier. J’ai touché à tous les sports. et je me suis intéressé de plus près au décathlon lorsque j’ai eu dix sept ans. Après mon CAP maçonnerie, j’avais enchaîné avec un bac pro à Amiens, mais l’aspect théorique et scientifique ne me convenaient pas, ce que j’aimais et ce que j’aime toujours, c’est être sur le terrain. C’est là que je suis parti à l’armée où j’ai fait énormément de sport. J’y ai fait mon premier décathlon, d’ailleurs et je me suis luxé l’épaule pour la première fois. J’ai fait de la rééducation pour me soigner, et j’ai participé à une second décathlon. De nouveau, je me suis luxé l’épaule. Cette fois, j’ai dû me faire opérer avant de faire de la rééducation.
À vingt deux ans, je suis passé de la catégorie « espoir » à Champion de France. J’ai continué à faire énormément de sport tout en travaillant, c’est comme ça que j’ai pu conserver mon statut de Champion de France, être sélectionné pour les Jeux Olympiques et obtenir mon diplôme. D’ailleurs, même dans la maçonnerie, ce qui me plaît est l’aspect physique, tout cela est une seule et même chose. Je pense que le sport collectif que j’ai pratiqué dans ma jeunesse m’a permis d’acquérir la motricité nécessaire pour le décathlon.
Quant à la recherche de la performance, elle était là depuis le début. Sans la peur, qui est arrivée plus tard. Car pendant longtemps, tout s’est enchaîné sans que je ne laisse de place aux questions ni aux doutes. C’est cette construction dans la continuité qui m’a permis d’arriver là où je suis aujourd’hui.
Le moment où vous avez découvert que votre capacité à pratiquer plusieurs sports pouvait vous mener vers une carrière d’athlète de haut niveau
Je n’ai pas vraiment eu de « moment » particulier. Je ne m’arrêtais jamais, le sport fait partie de moi depuis toujours. Et comme je l’ai dit, tout s’est enchaîné sans laisser de place au questionnement. Dès l’âge de dix sept ans, j’ai commencé à travailler à mi-temps, pour gagner de l’argent, en parallèle je pouvais faire du sport. J’ai cumulé carrière sportive et travail. Pour moi, c’était une sécurité. J’avais besoin de cette stabilité. Parce que les carrières sportives peuvent s’arrêter à n’importe quel moment à cause d’une blessure, je ne voulais pas prendre ce risque. Cette précarité ne collait pas avec ma vision de la vie. Aujourd’hui, c’est ce que j’enseigne aux jeunes que j’entraîne. Car même sans blessure, les carrières sportives sont courtes, alors on fait quoi après ?
Ma peur était clairement située là. Au niveau de cette précarité, mais c’est avec le recul que je le réalise, je n’y avais pas vraiment réfléchi, j’ai fait mes études de maçonnerie et commencé à travailler en même temps que j’entamais ma carrière sportive, parce que pour moi, c’était ce qu’il fallait faire.
C’est probablement lié à mon éducation, le salaire qui tombe tous les mois permet la sérénité nécessaire à la carrière sportive, pour se déplacer, s’inscrire aux stages d’entraînement… Préparer son avenir.


La dernière fois où vous avez refusé de vous lancer dans une aventure sportive par peur de ne pas y arriver ?
Lorsque je suis revenu du championnat, en 2005, j’avais une blessure au genou. Alors en 2006, j’y allais à reculons. J’avais assez peur de me blesser. Alors, j’ai pris le temps. Surtout celui de la récupération, car c’est ce temps que l’on oublie lors des entraînements intenses. Et même ainsi, je me suis fait mal au mollet. J’ai appris avec l’expérience.
Et ça aussi c’est une peur qu’il faut prendre en considération : la peur de ne pas assez s’entraîner, de ne pas aller suffisamment au-delà de ses capacités, mais aussi celle de repousser ses limites au-delà de ce que le corps peut endurer. Le secret, c’est le temps. Et une fois que l’on a compris que cette donnée est la clé des préparations, on peut aller encore plus loin. Alors j’accompagne ceux que j’entraîne sur cette voie de la patience.
Le moment où vous avez réalisé que vos capacités physiques et mentales vous permettaient d’atteindre des niveaux olympiques
C’est justement lors de cette blessure, qui a constitué une première pause pour moi. Jusqu’à ce moment, je poursuivais ma route sans heurts. Alors, là, j’ai compris que je pouvais encore aller plus loin. Et que je devais grandir encore.
Le projet le plus fou dans lequel vous vous êtes lancé avec une forme olympique ?
Je n’ai pas vraiment de moment clé. J’ai vécu une belle carrière sportive, j’ai voyagé dans des lieux que je n’aurais probablement pas visité sans cet engagement sportif. J’ai pu rencontrer des sportifs avec lesquels je me suis construit. Je pensais prendre un peu de temps pour moi pour faire du surf, du paddle… Mais la mairie me propose de participer à un projet autour des prochains Jeux Olympiques, ce serait celui-ci le projet le plus fou pour moi, car c’est quelque chose que je n’ai jamais fait et qui m’échappe sur certains aspect…
Lorsque vous vous préparez pour des épreuves de haut niveau ou lors des cours que vous donnez, quelle est la part que vous accordez à la préparation mentale ?
Oui, en effet. Toutes les préparations aident à se dépasser. Par exemple, en 2000 après les Jeux, je mangeais n’importe quoi, puis j’ai cherché à comprendre les enjeux nutritionnels, je suis allé voir un spécialiste. Puis un sophrologue, qui m’a dit que je n’avais pas besoin de son aide… En effet, je me connais assez bien et j’ai identifié ce qui m’aidait, comme la musique par exemple.
Alors, pour vous, tout cela est naturel, mais comme pour les autres personnes que nous avons interviewées, nous allons vous poser une dernière question. Si vous deviez donner cinq conseils à nos lecteurs pour qu’ils osent se lancer, quels seraient-ils ?
1. Se demander pourquoi on n’ose pas
2. Chercher le plaisir Y compris dans l’entourage, ceux qui prennent plaisir dans ce qu’ils font constituent un moteur
3. Trouver l’équilibre. Grâce à la musique, au travail ou tout ce qui permet de garder la concentration
4. Prendre le temps de grandir et de prendre confiance
5. Relativiser… L’échec n’est pas forcément qu’un échec, il permet de comprendre ce qui ne va pas et de s’améliorer.